La vie extraordinaire de Mariam Baouardy (6)
Nous reprenons la série d’articles consacrés à Mariam Baourdy. Jean Claude Antakli nous présente la vie édifiante de cette humble carmélite canonisée en 2015: vie parsemée de phénomènes mystiques extraordinaires et qui se déroule entre France et Proche-Orient.
Retour au Carmel de Pau le 5 novembre 1872
Elle y restera deux ans. Ses extases continuent, ses intuitions et ses prémonitions aussi. Tout s’ordonne, car à Bayonne un malaise s’installe. L’union, la gaieté et la charité qui ont présidé à la fondation s’estompent et faute de ressources suffisantes, la petite communauté périclite de jour en jour. Le temps de la dissolution est en vue. Les postulantes replacées, Mère Véronique ferme le Carmel de Bayonne où elle est restée cinq ans et revient à Pau. «Tout est maintenant balayé, le Seigneur veut désormais que tu t’appelles Sœur Marie Thérèse de Jésus et non plus Véronique,» lui annonce, en extase, Sœur Marie de Jésus Crucifié: «sois toujours petite, bien petite, car pour les petits il y a toujours de la place».
Les événements qui vont suivre laissent penser qu’échecs et épreuves subis en Inde par Mariam, sont inscrits dans les desseins de Dieu pour amener la fondation du Carmel de Bethléem. Car dès son arrivée à Pau elle y songe déjà. Mais ceux à qui elle s’en ouvre, sont très réticents après les déboires de Mangalore.
Elle fait écrire à la prieure de Mangalore, harcelée de remords et repentante: «Tout ce qui s’est passé Jésus l’a voulu. Que son nom soit béni, c’est Dieu qui a tout permis», persuadée que ses pauvres sœurs en Inde, aveuglées par le diable, avaient sans le vouloir été des instruments, pour servir les desseins de la Providence.
Il se pose cependant une question essentielle: où trouver les fonds nécessaires pour réaliser un tel projet? D’autant que la petite sœur arabe voit très grand, elle parle d’un vaste bâtiment pour abriter les Carmélites à Bethléem! La Providence intervient alors qu’elle est en prière devant le Saint-Sacrement: une jeune Paloise, Berthe d’Artigaux, petite-fille du Comte de Saint-Bricq lui propose, sans y avoir été sollicitée, d’assumer la fondation d’un Carmel à Bethléem si son confesseur l’approuve. Le Père Estrate valide, mais il faut aussi l’autorisation du Saint-Siège.
Je ne peux m’interdire là aussi une digression. En apprenant comment Mariam Baouardy s’est laissée guider pour la fondation de deux Carmels, je constate une grande similitude avec Mariette, la voyante d’Alep. En adoration devant le Saint-Sacrement, Jésus lui aussi, a orienté ses choix et les différentes étapes de sa vie, la conduisant de son petit oratoire d’Alep, dans des couvents de Terre sainte, puis au Maroc dans un monastère, enfin au Liban à Breige, sans aucun moyen, sans aucune décision personnelle, trouvant providentiellement l’aide matérielle nécessaire, grâce à des bienfaiteurs mis sur son chemin au moment exact où le Seigneur l’appelait.
Elle nous a confié que souvent acculée à des dépenses immédiates et onéreuses pour le couvent des Sœurs de l’Adoration de la sainte Eucharistie, elle était elle-même surprise, s’en remettant au Seigneur, de se voir proposer par un généreux donateur de l’étranger, du Liban, de Syrie, la somme exacte, à quelques livres près, qu’elle avait soumise à Jésus en adoration devant le Saint-Sacrement, en toute confiance. Parfois ces dépenses ou ces aménagements qu’elle croyait justifiés, ne recevaient aucune réponse. Elle y renonçait le cœur léger, et découvrait peu après une solution beaucoup plus rationnelle, beaucoup plus simple, à laquelle ni ses sœurs ni elle, n’avaient pensé.
Mariam donc, elle aussi, ne presse rien et s’abandonne.
«De cette époque datent ses plus beaux cantiques et ses poèmes si miraculeusement translucides, dira René Schwob. Mais l’essentiel est dans une sagesse que l’Esprit Saint lui inspire. Elle offre le prodigieux modèle d’une connaissance qui dépasse toute connaissance, et que la seule contemplation nourrit.» La possession, l’obéissance, la persécution et la douleur, toutes ces épreuves n’ont servi qu’à l’enfoncer davantage dans l’humilité et la charité.
Monseigneur Lacroix, l’évêque du diocèse, hésite à envoyer un émissaire à Rome, jusqu’à ce 20 Juillet 1874 où célébrant la sainte Messe à l’occasion de la fête de Saint Elie, en présence du Père Estrate, de l’abbé Saint-Guily et de Berthe Dartigaux, Sœur Marie de Jésus Crucifié tombe en extase et se prosternant à ses pieds l’implore: «Il faut écrire à Rome!» S’adressant à l’abbé St Guily, elle lui dit: «Ecris la lettre et Monseigneur la signera». Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, Monseigneur Lacroix bouleversé, ordonne à son abbé d’écrire, signe la lettre et la fait poster séance tenante…
Aucune réponse ne parvient de Rome! On apprend incidemment que le Patriarche de Jérusalem, craignant d’avoir à assurer la charge de ce monastère, a fait savoir qu’il n’y est guère favorable.
Le 7 septembre 1874 au cours d’une nouvelle extase, Sœur Marie de Jésus Crucifié dit à sa prieure que le chanoine Bordachar doit se rendre à Rome au plus vite, de crainte de voir la demande rejetée. Monseigneur Lacroix immédiatement informé, donne son accord et réussit à faire annuler le «Rescrit négatif», sur le point d’être en effet renvoyé à Pau… Sans passer par la Congrégation générale des cardinaux qui devait être consultée le 20 juin, c’est le Pape lui-même qui accordera le «Rescrit Positif» en ces termes: «Que ces enfants partent avec nos bénédictions», et d’ajouter: «Est-ce que je ne suis pas plus que tous ces cardinaux? Donnez-moi le rescrit!» Et il le signa séance tenante…
A suivre
Geneviève et Jean Claude Antakli