Un chemin spirituel de discernement personnel
Les visions de Nicolas de Flue
L’abbé Bernard Schubiger, grand spécialiste du saint Patron de la Suisse, vient de publier aux Editions du Parvis un nouveau livre sur le saint Patron de la Suisse et nous présente ici les visions de Nicolas de Flue (1417-1487).
L’auteur présente différentes manières d’utiliser cet ouvrage:
– pour une connaissance plus approfondie de Nicolas,
– pour une méditation accompagnée des magnifiques illustrations de Berna,
– pour une retraite dans le quotidien ou comme une relecture de sa propre vie.
Il donne de nombreuses pistes pour approfondir et méditer les différents symboles présents dans les images et des citations de versets bibliques pour faire le lien avec la Parole de Dieu. Il propose pour chaque vision une interprétation théologique et spirituelle puis une actualisation pour soi-même.
Un livre passionnant par sa diversité de lecture, par l’apport d’informations utiles, en particulier sur la mystique rhénane, qui reprend des pères de l’Eglise, l’inhabitation de Dieu en l’homme, en précisant le comment de cette présence.
La vie de Nicolas de Flue
Commençons par situer le saint patron de la Suisse. Il a vécu au XV e siècle au cœur de la confédération naissante, dans le canton d’Obwald. Seules deux dates sont attestées historiquement. La date de son départ de sa famille, le 16 octobre 1467 à la Saint-Gall, et la date de sa mort, le 21 mars 1487. De là, la date de sa naissance en mars 1417 à Flueli (= rocher en dialecte suisse-allemand) au-dessus de Sachseln.
La vie de Nicolas se décompose en trois parties: son enfance, son adolescence et sa jeunesse jusqu’au mariage avec Dorothée Wyss, qui vient de l’autre côté du lac de Sarnen (Schwendi). Elle avait 15-16 ans, l’âge normal du mariage à cette époque, et lui en avait 30. Il avait construit pour elle une belle ferme familiale en bois, avec les premières fenêtres en cul de bouteille (on peut encore la visiter).
Il vivra durant vingt ans avec son épouse Dorothée, qui donnera naissance à 10 enfants (cinq filles et cinq garçons). Parmi eux, Hans et Walter témoigneront à sa mort et le plus jeune, Nicolas, deviendra prêtre, chapelain du Ranft, puis curé de Sachseln.
Deux ans avant de quitter sa famille, il vivra un temps de dépression et de lutte intérieure pour répondre à sa vocation. C’est durant cette période que la plupart des visions sont situées et particulièrement les trois grandes visions.
A cinquante ans, avec le plein accord de sa femme Dorothée, il quitte la famille, confiant la ferme à sa femme et l’exploitation agricole à ses deux fils aînés, tout heureux de prendre leurs responsabilités et d’être indépendants. Cette rupture n’est pas à comprendre comme un abandon, mais comme la réponse à un appel qui habitait Nicolas depuis sa jeunesse. Ses vingt années de vie de famille avec Dorothée et ses enfants sont comme la nécessaire préparation communautaire pour le seul à seul avec Dieu.
Au moment de son départ, il ne sait pas précisément ce que Dieu attend de lui, il part comme pèlerin en direction de Bâle et de l’Alsace et, nous le verrons, il revient comme ermite suite à trois signes: la ville de Liestal rouge feu (comme un coucher de soleil intense) le stoppant net dans sa pérégrination – les conseils d’un paysan l’invitant à retourner chez lui et à vivre sa vocation chez les siens – la vision d’un rayon qui lui transperce presque le ventre. Dès ce moment, il vivra le jeûne total, sans manger, ni boire, il se nourrira seulement de l’eucharistie, au début seulement aux grandes fêtes puis une fois par mois. (A l’époque seuls les prêtres communient à chaque eucharistie, le peuple rarement).
Il retourne donc à Flueli et se cache dans la forêt, avant qu’il soit découvert, puis il construit une hutte de branchage au Ranft. Lorsque les habitants s’aperçoivent qu’il ne s’agit pas d’une lubie passagère, ils lui construisent une chapelle en dur et un petit ermitage dont seul le sous-sol était chauffé lors des grands froids de l’hiver. Aujourd’hui encore son ermitage et sa chapelle attirent de nombreux pèlerin. C’est là, comme desséché et dans de grandes douleurs, qu’il mourra à même le sol le 21 mars 1487.
Pourquoi les visions
Nicolas ne savait ni lire, ni écrire comme la plupart de ses contemporains. La seule école était le travail de la ferme en aidant ses parents: Henri de Flue et Hemma Ruobert. Ses camarades témoigneront qu’il aimait se retirer seul pour prier. Ainsi, Dieu va lui parler à travers des images: déjà dans le sein maternel il aperçoit une étoile brillante dans le ciel, comme pour annoncer l’importance de sa personne. Une pierre pour rappeler son nom et dire la solidité de l’amour de Dieu et enfin le saint chrême pour signifier la sainteté à laquelle tout baptisé est appelé. Il se souvient également de son baptême et des personnes présentes, sauf un homme, certainement la représentation de Dieu lui-même.
Les visions de Nicolas sont bien différentes de celles connues des mystiques rhénans dont Hildegarde de Bingen. Alors qu’Hildegarde voit à l’extérieur d’elle des images sur le mystère de Dieu, de l’homme et de la Trinité, un ange lui en donne l’interprétation. Nicolas, lui, est toujours au cœur de la vision comme un acteur, un personnage à part entière et l’interprétation des images est sa propre vie. A travers les visions, nous découvrons le cheminement intérieur de Nicolas pour répondre à l’appel et à la vocation de Dieu.
Les douze visions
A seize ans, il a la vision d’une immense tour, à la ressemblance de la tour de l’église de Sankt Niklausen, qui est à l’origine de son prénom et qui se trouve de l’autre côté de la vallée. Cette tour est ancrée au Ranft, un ravin profond qui descend jusqu’à la rivière de la Melchaa. C’est le lieu exact où, trente-quatre ans plus tard, il établira son ermitage pour répondre à cette vocation du seul à seul avec Dieu, annoncée par cette vision. Tout le cheminement et la spiritualité de Nicolas est la découverte de cette intériorité qui conduit à reconnaître que le Dieu Trinité fait sa demeure dans notre cœur. A partir de cette vision Nicolas cherchera comme, il le dit lui-même, un «einig Wesen» à faire l’unité de tout son être.
Nous avons le témoignage de ses deux frères aînés, de ses pères spirituels; ils ont entendu Nicolas leur raconter ses visions et rapporté dans «le registre de Sachseln», un manuscrit qui a recueilli, peu après sa mort, le récit de plusieurs témoins et les miracles attestés. Son premier biographe officiel, Wölfflin, désigné par le gouvernement, reprend ces récits et les complète.
Nicolas a eu douze visions. Dans la quatrième, un nuage sur le chemin qui le mène à son champ lui parle et l’invite à faire la volonté de Dieu. C’est la découverte de cette météo intérieure de notre cœur, pour discerner les esprits à l’œuvre en nous comme nous l’explique saint Ignace de Loyola dans ses exercices.
Puis, dans son travail quotidien dans sa ferme familiale, il rencontre trois visiteurs (symbole de la Trinité) qui l’invitent à se donner tout entier, corps et âme à Dieu et lui annoncent qu’il verrait le ciel avant septante ans, en lui remettant en attendant une croix, symbole du combat à mener avec Jésus-Christ.
Dans la vision du lis et du cheval, Nicolas découvre le choix radical: ou bien préférer son magnifique cheval et ainsi perdre le lis de l’amour de Dieu, mangé par lui, ou bien préférer le lis de la Parole de Dieu et de sa gloire. C’est le choix que saint Augustin a résumé: «Aimer Dieu jusqu’à s’oublier soi-même ou s’aimer soi-même jusqu’à oublier Dieu.»
Les trois grandes visions
Puis viennent les trois grandes visions davantage théologiques et qui dévoilent plus profondément la vocation de Nicolas.
La vision du pèlerin avec sa triple transformation, permet à Nicolas de découvrir tout le chemin de conversion intérieure encore à parcourir pour devenir ce noble ermite qu’il voit habillé comme il le sera au Ranft et dont on voit les os à travers les habits, comme ce sera son cas. Ce pèlerin transformé en ermite, qui vient de l’Orient, c’est le Christ lui-même qui se transforme ensuite avec le visage du voile de Véronique (le Christ crucifié en Gloire) avec un habit d’ours (l’humanité pécheresse) recouvert de paillettes d’or (la gloire). Il lui dira au revoir avec une grande salutation de son chapeau et lui transmet tout son amour.
Dans la vision de la fontaine, Nicolas découvre qu’il est lui-même un tabernacle de la présence de Dieu avec trois flux de vin, d’huile et de miel, les fruits de l’Esprit Saint, auxquels les habitants du village ne parviennent pas, trop préoccupés par leurs sous.
Enfin dans la vision des remerciements, l’Esprit Saint, comme un avocat, intercède pour que Dieu le Père remercie Nicolas pour sa participation à la Passion de son Fils. Nicolas, avant chacune de ses grandes visions, médite la Passion de Jésus et il témoigne que seul cette méditation l’a apaisé durant les deux ans de dépression et de combat intérieur. Puis c’est Marie qui le remercie et enfin Jésus lui-même qui s’assied à ses côtés et transforme son habit: il est blanc et taché de rouge comme le sien.
Quatre lumières indiquent, dans une vision à Nicolas, le lieu exact de l’implantation de son ermitage et enfin, il voit la face de Dieu dans une expérience si intense qu’il en est atterré.
Bonne lecture et bonne méditation.
Abbé Bernard Schubiger