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Un pape à genoux…

«Fatima - Les papes précurseurs», de Pie IX à Benoît XV (1846-1922) - (3)

Benoît XV: «Que, par le saint Cœur de Jésus, Marie, Reine de la paix l’obtienne au monde bouleversé».
Marie, au «Berceau de la paix» (Cova da Iria): «Si l’on écoute mes demandes, l’on aura la paix» (13 juillet 1917)
«Un jour, affirme Sœur Lucie dans ses Mémoires1, Jacinthe me dit: “N’as-tu pas vu le Saint-Père dans une très grande maison [Basilique Saint-Pierre], à genoux devant une table, la tête dans les mains et pleurant, en prière devant le Cœur immaculé de Marie, et tant de monde priant avec lui?”…»
Cet épisode, ô combien célèbre des visions de la mystique enfant, révèle la profondeur du mystère des papes, garants devant le Pasteur suprême des brebis à eux confiées. Papes dont les tâches et les responsabilités, aux heures proprement cruciales, les configurent vraiment au Christ rédempteur. Le contexte et l’histoire désignent le principal de ces pontifes: saint Jean Paul II2. Comme l’a assuré le cardinal Etchegaray à Valence: «Dans toute vie de pape, il y a la persistance de la Croix3». Une croix qui remonte à saint Pierre et qui descend jusqu’à Pie IX, Pie XII4, Paul VI5.., Benoît XVI… Et au milieu d’eux se débat Benoît XV, qui ne sait comment sortir le monde de la spirale satanique de la Grande Guerre.

L’angoisse d’un pape

Bien qu’élu jeune (60 ans à peine, le 6 septembre 1914), confronté, dès le début, au plus sanglant conflit que l’humanité ait jamais connu, son drame est, tout au long de son interminable durée, de n’avoir pu le juguler, par quelque moyen que ce soit. Car il en a suivi l’ascension, le paroxysme (Verdun et les Flandres) sans pouvoir en faire baisser l’intensité, et encore moins le faire cesser. Pourtant il était docteur en droit civil et canonique… Mais peut-on arrêter une guerre folle par la seule diplomatie?
Y a-t-il donc plus terrible et plus étonnant que l’impuissance d’un pape?
Né en 1854, date de la promulgation du dogme de l’Immaculée conception, Benoît XV se trouve face à une Madone affligée – comme il l’écrit – par l’océan des victimes de toutes sortes6 (Marie évoque notamment les réfugiés, l’Eglise persécutée. Quand elle demande une chapelle, à la Cova da Iria, les «Sans-Dieu» la dynamitent…). Chapelle demandée aux prêtres. Le Pape est le premier d’entre eux. Pour qu’il incite le peuple chrétien à y prier. «Chaque jour», répète t-elle. Pour lui indiquer que dans les cas extrêmes, lorsqu’humainement il n’y a plus d’issue, il faut aller plus haut, quitter l’horizontalité aveugle vers la verticalité lumineuse: avoir comme unique recours Ceux-là seuls de qui la vraie paix dépend, face au seigneur de la guerre, l’antéChrist, Satan. Le Maître de la paix, c’est Dieu, paix messianique méritée par le seul Christ: «Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix, non pas comme le monde la donne…7». Il n’y a en effet que trois moyens pour sortir d’une guerre: les armes, la diplomatie. Lorsqu’elles échouent, que reste t-il? La prière. Les tentatives terrestres répétées du pape ne peuvent aboutir, à cause de l’énormité du conflit, de l’offense faite ainsi à Dieu, d’autant plus que les belligérants se réclament du christianisme! Face à l’horreur du massacre, il faut l’«épaisseur» supérieure de la prière pour en sortir. C’est pourquoi, en 1916 – au début du carnage de Verdun – les premiers mots de l’Ange des Valinhos sont pour exhorter – avec insistance – les pastoureaux à la prière: «Priez, priez, priez!». C’est ce que Marie avait promis à Pontmain lors du premier conflit franco-prussien: «Priez, Dieu vous exaucera en peu de temps!» Les bretons ont prié, et la Vierge a obtenu la paix. A-t-on fait assez attention au pouvoir de la Reine du ciel?
Déjà, bien des papes précédents avaient connu d’autres angoisses, quand il avait fallu juguler des hérésies, arrêter des guerres menaçant la chrétienté: ils ont été exaucés chaque fois qu’ils ont recouru à Notre-Dame, le rosaire en mains: tels saint Pie V en 1571 (à Lépante), puis Clément XI en 1716 (Peter­wardein); Innocent XI y ajoutant l’invocation du «saint nom de Marie» en 1683 (lors du siège de Vienne).
A Fatima, justement, Marie voyant du haut en bas tous ses enfants dans la douleur et l’impasse, va intervenir afin de «relancer» la dynamique spirituelle des papes, qui doit revenir au premier rang du souci de l’Eglise, par la prière: «Sans moi, vous ne pouvez rien faire», affirmait Jésus.

De la misère jaillit la grâce

C’est donc à cause de cet échec humiliant – mais porteur de grâce – de ce paroxysme de dépouillement pontifical, que Marie veut faire éclater la puissance du Prince de la paix, et le Fils la gloire de la médiation de sa Mère, la seule avec Lui capable d’enrayer la puissance passagère de Lucifer, son esclave. C’est au creux de ce désert spirituel, comme dans l’Apocalypse XII, qu’elle entend l’appel du saint Vicaire en désarroi.
Dieu est parvenu à son but: l’Eglise a enfin compris qu’elle n’aura de secours qu’en Lui, ignorant que le plan divin passe, au même moment, par une bourgade ignorée du monde – Fatima – et une femme, Celle qui est au cœur de la Sainte-Trinité, laquelle est sans cesse évoquée dans le message fatimide8. Par son cheminement douloureux et une grâce singulière, Benoît XV s’adresse donc au Ciel: dans une Lettre destinée nominalement à son Secrétaire d’Etat le cardinal Gasparri. Le pontife se souvenant de la double allégeance de Léon XIII envers le Sacré-Cœur et la Vierge du rosaire, invoque en réalité la miséricorde du Premier et la médiation souveraine de la Seconde, la désignant désormais comme «Reine de la Paix». En l’occurrence, Benoît XV a été inspiré par ce prédécesseur qui avait donné à la Madone le titre de «Mère du bon Conseil» (1903). Or chacun sait que le don de conseil est l’un des sept fruits du Saint-Esprit. Il ignore aussi que, dès le printemps 1916, l’Ange apparu à Fatima se dénomme dès le début: «Ange de la paix», soucieux de faire prier en ce sens.
Cette Lettre était datée du samedi (jour de Marie) 5 mai 1917. Et voici que corroborant les trois apparitions de l’Ange et la lettre du Saint-Père, elle lui fait écho moins d’une semaine après dans la lande de la Cova da Iria, le dimanche 13 mai, jour de la Résurrection. Elle le fait en conditionnant le retour de la paix à la récitation journalière du chapelet (et aux épreuves offertes). La réponse est donc immédiate, directe, sûre. C’est la Mère des papes, de l’Eglise et des hommes qui répond à l’appel angoissé du Père commun. Le message corrélatif de Fatima, considéré dans son ensemble, montre de façon indubitable qu’elle pourvoit à tout ce que ses prédécesseurs ont accompli en cette direction. Les éléments du message en font l’étonnante démonstration.
Lettre capitale, car en définitive elle récapitule l’action des papes précurseurs de Fatima9 et préfigure celle des suivants. Elle en est comme le point d’orgue. En communion parfaite avec eux, la Vierge aura elle aussi des demandes à faire à leurs successeurs… Extrait des Archives Secrètes du Vatican, le précieux document m’a été confié par son titulaire, Mgr Jean-Louis Bruguès, ancien évêque d’Angers, et figure dans l’ouvrage. Je lui en suis très reconnaissant.

«Prince de la Paix» «Reine de la Paix»

Alors que la guerre s’enlisait, voici que, tout-à-coup, l’horizon s’éclaire. La grande offensive alliée de l’été 1918, dont le commandement suprême échoit au généralissime Foch, refoule les derniers assauts allemands; le 11 novembre, l’armistice est signé. Voici pour le passé. Pour l’avenir, les pourparlers de paix s’engagent et aboutissent au principal traité, celui de Versailles, du 28 juin 1919. Date providentielle, car en 1919, le 28 juin était non seulement un samedi, mais encore et surtout la fête de son Cœur Immaculé et, le jour précédent, celle du Cœur sacré du Christ! Ces saints Cœurs dont nous parle tant le message contemporain de Fatima. A ne pas oublier qu’en histoire un armistice ne fait pas la paix durable: ce n’est qu’une suspension des combats. Une guerre ne s’achève véritablement que par un traité de paix, en bonne et due forme. D’où le fait que Marie ne parle jamais d’armistice, mais de paix (pax). Voilà pour les «signatures» et la «géographie spirituelle des signes», si chère à Mgr Théas, illustre évêque de Lourdes.
Notre livre a donc voulu célébrer la maternité ecclésiale au sommet de Marie, désireuse de montrer que, par volonté de son Fils crucifié, les rênes de cette Eglise lui appartenaient de droit et donc passaient par les papes d’abord, conduits par son Epoux mystique, l’Espri­t Saint.
En ces années centenaires de l’Armistice de Rethondes et la Paix de Versailles, l’ouvrage a souhaité en même temps se présenter comme un hommage aux héros de l’horrible conflit. Ainsi s’achève-t-il comme il a commencé10, avec l’éloge du soldat de Marie que fut le Maréchal Ferdinand Foch dont il convenait d’évoquer, entre Lourdes et Fatima, l’ardente et féconde piété mariale à laquelle cette douloureuse paix n’est pas étrangère.
Nous sommes heureux que cet ouvrage contribue à rendre grâce à la Reine de la Paix. Et soyons certains que, si nous voulons la conserver sur notre terre tourmentée, il est plus temps que jamais de la prier. A elle seule en effet ont été remises les clés de la concorde humaine: «Tu la blesseras au talon, mais elle t’écrasera la tête»11.
Le cardinal Etchegaray a eu raison d’écrire:
«Laissez-vous guider par l’Esprit de Dieu. Les vallées de larmes, Il les transforme en vallées de merveilles»12. Par Marie

Bernard Balayn

Nota bene: Pour bien comprendre la démarche de cet ouvrage, il est indispensable de connaître plus en détail les paroles de l’Ange et de la Vierge apparus à Fatima. (Les livres et livrets ne manquent pas, comme Fatima: au seuil du triomphe? paru aux Editions du Parvis.

Notes:
1.    Memorias e cartas da Irma Lucia, Porto, 1976 (rédaction: 1941). 3e document (sur 6).
2.    Dont nous avons essayé de décrire et décrypter le long calvaire dans notre biographie: Jean Paul II le Grand
3.    (29 août 1999). Pour le bicentenaire de la mort de Pie VI.
4.    Aux heures les plus sombres de la seconde guerre mondiale.
5.    Devant la crise d’Humanae vitae où il s’est vu presque complètement abandonné.
6.    Faut-il les évoquer? (10 millions de morts, 50 de blessés, innombrables veuves et orphelins, ruines sans nombre…)
7.    Jn 14,27.
8.    V. «Fatima, message extraordinaire pour notre temps» et «Les grandes heures de Fatima» notamment (de l’auteur).
9.    On y retrouve l’autorité du Pape, la nécessité d’indépendance du Saint-Siège, celle de la prière – notamment du Rosaire – de la communion fréquente depuis l’enfance, l’appel à la miséricorde du Christ, à la piété mariale, à la conversion permanente, à la paix par la fraternité chrétienne.
10.    Epitaphe à quelques héros représentatifs de tous (p. 7)
11.    Gen 3,15)
12.    L’homme: à quel prix? Ed. La Martinière, 2012, p. 13.