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La vie extraordinaire de Mariam Baouardy (8)

Extases de Mariam Baouardy

Cela a commencé pour elle par cette parole intérieure, qu’enfant dans le jardin de son oncle, elle a clairement entendue, alors que les oiseaux qu’elle avait sortis de leur cage, meurent entre ses mains. «C’est ainsi que tout passe! Mais si tu veux me donner ton cœur, Je te resterai toujours.»
C’est de là, de cette rencontre qu’après son fiat, elle entre dans une intimité absolue avec le divin, acceptant l’alliance proposée. Cet embrasement intérieur est un mariage sacré. Dans ses cantiques inspirés de son pays, elle se compare à cette bien-aimée, cette fiancée de Galilée aux vêtements traditionnels qu’elle décrit poétiquement: «Seigneur, je suis nue, donnez-moi une chemise d’innocence, une robe de toutes sortes de vertus, un manteau de charité qui me couvre bien. Un voile qui me cache et me rende anéantie. Puis un mouchoir pour chasser les distractions et les choses inutiles comme on chasse les insectes qui volent et fatiguent.»
Pour l’Oriental que je suis et que je demeure, il me suffit de fermer les yeux pour voir apparaître ces jeunes femmes promises, auxquelles Mariam se compare, avec leur robe longue de coton blanc, leur manteau en soie orné de broderies ou de brocart, et le bandeau large et lumineux qui maintient le voile. A peine dépasse de la robe, le pantalon étroitement serré aux chevilles au-dessus des sandales légères.
Elle reprend les poèmes de son enfance pour offrir au Bien-Aimé chaque parcelle de son corps: «Si mes yeux peuvent vous plaire, prenez-les; mes oreilles, ma langue, ma bouche, prenez ce qui vous plaît… prenez tout, je vous donne tout, mais je ne peux consentir à avoir mon cœur froid, pour vous Seigneur.» Et comme cadeau nuptial, pour ses noces mystiques, elle réclame: «Mon Jésus, donnez-moi vos clous!», comme l’avait fait la grande Thérèse d’Avila qui les avait reçus lors de sa vision des épousailles. Mariam elle aussi, les recevra lors de ses stigmatisations, ainsi que cette bague secrète, symbole de l’alliance définitive, à 30 ans au Carmel de Bethléem.
Quand on lui demande comment elle entre si facilement en extase, elle s’étonne naïvement: «Je me sens le cœur ouvert. Il y a comme une plaie et, quand j’ai certaines pensées et impressions de Dieu ou que j’entends un mot de Dieu qui me touche, c’est comme si on me touchait la plaie au cœur et je tombe en faiblesse; je me perds.»
On a évoqué plus haut sa sensibilité à la lumière, qui est pour elle beauté, amour, puissance, vie. Elle est Dieu. «Venez Jésus, vous Soleil de justice, venez m’éclairer. Mon âme se consume, languissante, en attendant… Faites descendre sur moi, votre chaleur, votre lumière, venez faire fondre ces glaces qui me pénètrent… Venez faire fleurir ces roses pour vous glorifier.» Et elle reprend: «J’ai pensé faire cette prière, non pour être comme ce rosier, je suis trop fumier, mais pour attirer le Soleil de justice sur mon âme flétrie, glacée par le péché. Ô lumière! Venez Esprit Saint!» Jésus est Soleil, et Dieu est un arbre, dans ses visions. Dicté depuis son Carmel de Judée, en mars 1878, à son directeur spirituel resté à Pau: «Je vois Dieu sous un olivier au milieu du champ, et il me semble que la lumière qui sort de Dieu a fait mûrir vite, olives et froment. Auprès de l’olivier, il y avait des vignes et le raisin était mûr. Je voyais tout lumière. La jubilation de joie saisit mon âme et je voulais me précipiter à l’olivier pour embrasser mon Dieu»…
Elle disait aussi: «Je voyais un champ de blé qui s’inclinait devant moi comme pour saluer son Créateur; et je voyais écrit en grand sur ce champ de blé: Ceci est mon Corps…»
«Je suis en Dieu et Dieu est en moi. Je sens que toutes les créatures, les arbres, les fleurs sont à Dieu et aussi à moi. Je n’ai plus de volonté, elle est à Dieu. Et tout ce qui est à Dieu est à moi…»
«Au ciel les plus beaux arbres sont ceux qui ont le plus péché. Mais ils se sont servi de leurs misères comme d’un fumier qui entoure le pied…»
Parfois l’arbre béni est un palmier. «Cet arbre est comme le cèdre, ses feuilles comme la banane, ses fleurs comme les violettes, ses fruits comme les olives, oh! Arbre magnifique!» L’arbre immémorial, le palmier symbole du Levant avec l’olivier ou le cèdre! Toutes ces visions colorées exaltent la petite Carmélite au point de la transporter littéralement… comme un oiseau. Mariam à Pau se balançait à la cime des arbres, phénomènes rares apparentés à des envols gracieux. Dans son désir d’être «oiseau» pour rejoindre son Bien-Aimé elle dira: «Ah! Si j’avais des ailes de colombe! Je n’en puis plus de cet exil. Qui coupera, ôtera les branches qui m’empêchent de voir la Patrie, d’aller à mon Bien-Aimé! Envolez-vous, ô mon âme, volez des ailes de la colombe.» La colombe est l’oiseau biblique, symbole de l’Esprit Saint qui descendit sur Jésus (Lc 3,22) mais aussi offrande sacrifiée, lors de la présentation de Jésus au Temple (Lc 2,24)
Mariam, en femme de Galilée brode ou raconte avec ses métaphores, avec ses mots, la beauté de son pays, magnifiant, imageant, coloriant sa prière, comme une icône vénérée. Mariam devient aussi psalmiste, imitant les poèmes chantés, si familiers dans le culte d’Israël. Il n’existe hélas aucune trace de ces mélodies qui accompagnaient l’expression de ses visions et qu’elle improvisait pour traduire son allégresse et son amour quand le verbe lui semblait trop pâle.
Pour traduire le mal, Mariam fait appel là-aussi, au patrimoine oriental ancien qu’elle connaît: «Ils ouvrent la gueule contre moi, en lions déchirants et rugissants». Et «j’ai accompagné le Sauveur, personne ne veut le suivre. Les hommes restent par terre, le lion vient et il les dévore. Réveillez-vous, venez à moi pour Le consoler.» Ces forces brutales et destructrices, côtoient dans des songes terrifiants les serpents, ces animaux mythiques représentant les cultes païens, les ennemis, donc le mal: «Le serpent voulait me mordre et avoir ma vie, mais aux pieds de ma sainte Mère dans ce monastère, j’ai retrouvé la vie!»
Et bien sûr, nombreux sont les tableaux où le symbole de la grotte est repris dans les songes, les rêves, les extases de Mariam. L’association de la grotte à la vie, est naturelle pour elle: D’abord parce que la grotte est un lieu, un abri rassurant.
C’est à «la Grotte du Lait» que ses parents en pèlerinage à 170 km de chez eux, demandent à la Sainte Vierge le miracle de sa naissance, après la mort de leurs douze premiers nés. La tradition veut que Marie ait allaité Jésus là, avant la fuite en Egypte, d’où la coutume de venir demander à la Vierge une nouvelle naissance.
L’Eglise de la Nativité à Bethléem a été élevée sur un réseau de grottes utilisées par l’homme au premier millénaire avant notre ère.
L’actuelle basilique de l’Annonciation à Nazareth coiffe deux grottes.
La première église de Pierre à Antioche était une grotte.
Enfin, Mariam laissée pour morte dans une ruelle d’Alexandrie est recueillie par une religieuse vêtue de bleu, et soignée dans une grotte. Et c’est dans cet abri, que lui sera révélé son destin.
Pour Mariam donc, la grotte symbolise l’espace privilégié où Dieu secrètement touche sa créature, comme une transposition du ventre maternel. «Je demande au Très-Haut: où demeures-tu? Je fais chaque jour une nouvelle demeure, une nouvelle naissance dans une grotte, dans une demeure basse… Je suis heureuse dans une crèche, j’ouvre la porte de la grotte». Et elle priera: «Seigneur gardez-moi toujours votre amour comme l’enfant est gardé dans les entrailles de sa mère.» Il a tout!… «Et moi, Seigneur, si vous me gardez dans votre amour, il ne me manquera rien, je ne désire autre chose qu’être en vous, je ne veux jamais sortir de vous, et comme l’enfant commence à être fragile et misérable dès qu’il sort du sein de sa mère, moi aussi je serais malheureuse si je sortais de vous. Gardez-moi, Seigneur, dans votre sein. Gardez-moi dans les entrailles de votre amour!»
N’oublions pas non plus qu’à Haïfa, deux grottes sont révérées comme des lieux de retraite du prophète Elie, auquel Mariam porte un respect et une affection particuliers: c’est le 19 juillet 1873, pour la fête de saint Elie, qu’elle l’a prié de favoriser la fondation du Carmel de Bethléem et elle a été exaucée. Elie c’est l’Orant de Dieu, solitaire, qui se prosterne au sommet du Mont Carmel.
Une tradition palestinienne voulait qu’une mère ayant perdu ses enfants en bas âge, emmène son dernier né au sommet du Mont Carmel et le plonge un moment dans la citerne de Mar Elias, véritable Eau Vive. La fête de Mar Elias en Orient rassemble juifs, chrétiens, musulmans et druzes tant la fertilité de la femme et la survie de l’enfant sont universelles. Elie est l’intercesseur idéal pour les couples stériles et Mariam plusieurs fois avec succès, le priera pour des amis du Carmel qui le lui demandent.
Il est étonnant de constater aussi que Mariam, dans les derniers mois de sa vie à Bethléem, ne vit qu’à travers ses extases. Alors que Dieu lui offre de choisir entre une mort rapide ou de souffrir encore, elle dira devant un prêtre le dimanche de Pâques: «Le Seigneur m’a dit: “ma fille je te donne le choix“, et j’ai répondu “j’accepte tous les tourments pour un petit regard de vous“.» Elle écoute et dit: «Non, non ne me tentez pas. Que m’importe de marcher dans la cendre brûlante! Eh bien, je préfère être aveugle, qu’avoir des yeux et ne pas voir Dieu.»
Et dans un soupir: «Ah! Si j’avais écouté l’enfant et la chair, je serais partie!»

Geneviève et Jean Claude Antakli,
écrivains-biologistes

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