Jehanne d’Arc: «Ayez bon cœur, Dieu vous conduit»
A l’occasion du 600e anniversaire de la naissance de Jeanne d’Arc à Domrémy le 6 janvier 2012, au cours du cénacle organisé par les Témoins de l’amour et de l’Espérance, Michel-Thierry Dupont a invité l’assistance à prendre de la graine des exemples édifiants que nous a laissés Jeanne d’Arc, tant par ses paroles que par ses actes. (suite du SM490)
Dois-je me juger de mon adéquation et de ma rectitude?
Mais comment avoir des actes et des paroles toujours adéquats?...
On connaît sa réponse au juge qui voulait la piéger sur une possible présomp-tion. «Etes-vous en état de grâce?» «Si je n’y suis, que Dieu m’y mette. Si j’y suis, que Dieu m’y garde.» Ce n’est pas à nous de juger de nos actes déjà faits, ils appartiennent à sa miséricorde. Quant à nos actes d’aujourd’hui, le scrupule est un frein à agir et «à demeurer avec Lui». Il n’est pas non plus très prudent de juger de notre niveau spirituel (notre «demeure» dirait sainte Thérèse d’Avila).
Jeanne garde son regard en avant: «Oubliant ce qui est derrière moi et tendu de tout mon être vers ce qui est en avant» (Ph 3,13) et aussi vers Lui, «le Seigneur vivant (1R 17,1)… devant lequel [elle]se tient aujourd’hui (1R 18,15). Usant de ces deux versets, notre père Athanase d’Alexandrie disait qu’il ne fallait pas mesurer le temps de notre fidélité (ou infidélité) passée, mais notre désir aujourd’hui. Comme un débutant, jeune parce que pur de cœur et obéissant à Sa volonté.
Mais alors comment discerner la priorité des actions et choisir? Qui est mon prochain?
Qui dois-je servir en premier?
«Notre sire servi», «messire Dieu premier servi».
Lorsqu’il sera très difficile de choisir entre obéir à ses parents et rester à Domrémy, entre autorité paternelle et autorité céleste, le critère sera celui-là. «J’aimerais mieux filer la laine mais il y a grande pitié en France.» «J’étais envoyée pour la consolation des pauvres et des indigents.» Le critère de l’action juste est la conséquence sur le plus petit. Nous savons aujourd’hui que le critère de jugement d’une société est sa défense du plus petit. Nous savons avec Jean de la Croix qu’au soir nous serons jugés sur l’amour. Pour Jeanne servir Dieu premier, c’est servir le petit.
Au vu des circonstances qui ont donné cette réponse (elle est interrogée par des juges qui vivent la fin d’un schisme, avec des prêtres qui appartiennent à des factions (anglaises comme Pierre Cauchon, bourguignonnes comme les universitaires de Paris etc), on peut aussi en déduire qu’elle en fait le critère d’obéissance à l’Eglise. C’est une obéissance «christocentrée» (si vous me permettez le jargon théologique… ayant le Christ pour centre), «car le Christ et l’Eglise, c’est tout un», dit-elle dans sa limpidité qui confond les juges orgueilleux et veules.
Avec ces armes, un projet discerné, mûrement pesé sous la conduite de l’ Esprit Saint, on peut agir vite et hardiment. Dans la petite église de Jargeau, la paroisse a conservé de sa bataille victorieuse sur place, l’expression qu’elle utilisait pour encourager ses troupes. Elle se trouve encore gravée sur un autel en bois: «Ayez bon cœur, Dieu vous conduit.»
Alors? La grâce fait tout? A la fois désirer le bien et nous le faire faire? Ne sommes-nous donc rien puisque Dieu décide de tout? Non, c’est beaucoup plus simple. «Ayez bon cœur, Dieu vous conduit.» Qu’est-ce qu’avoir bon cœur? Cela tient à la fois du courage (nous le verrons dans la partie action, action guerrière et militaire), mais aussi d’une limpidité, d’une transparence volontaire de l’âme. La spiritualité médiévale parlait de miroir, la glace sans tain n’était pas courante comme aujourd’hui, le reflet de notre visage se trouvait sur les plats de cuivre. Il fallait les frotter pour éviter que le gras puisse empêcher ce reflet. Avoir bon cœur c’est nettoyer sans cesse le miroir pour refléter la pureté du ciel, c’est lutter contre la chair et son refus de courage pour sortir de soi. Aelred intitule son œuvre de spiritualité médiévale «miroir de la charité». Ayez bon cœur, Dieu vous conduit. Réponds hardiment, Dieu t’aidera.
Pleine de cette force d’en- haut, Jeanne met, comme le dit la prière de François d’Assise, «la foi là où il y a le doute» Citons le discours de Malraux à Rouen le 30 mars 1964: «Dans ce monde où le dauphin doutait d’être dauphin, la France d’être la France, l’armée d’être une armée, elle refit l’armée, le roi, la France. Il n’y avait plus rien, soudain il y eut l’espoir - et, par elle, les premières victoires qui rétablirent l’armée. Puis - par elle, contre tous les chefs militaires - le sacre, qui rétablit le roi. Parce que le sacre était pour elle la résurrection de la France, et qu’elle portait la France en elle de la même façon qu’elle portait sa foi.»
Cette assurance, cette espérance confond ses juges. «Vous croyez-vous sauvée?» (l’intention est d’en faire une présomptueuse) «Je le crois aussi fermement que si je l’étais déjà», et là c’est l’espérance, car sa réponse au prochain piège transforme une supposée prescription en espérance: «Pourquoi vous confesser si vous êtes sauvée?» «On ne nettoie jamais assez son âme.» Alors qu’on lui lit le réquisitoire définitif: «Je m’en remets à mon créateur de tout. Je l’aime de tout mon cœur... Je m’en attends à mon juge: c’est le roi du ciel et de la terre.»
Une spiritualité de l’époque – mais qui agit bien sûr encore aujourd’hui – avait influé sur Jeanne par l’intermédiaire des ordres itinérants et mendiants, celle, bien sûr, du saint Sang de Jésus de sainte Catherine de Sienne, mais aussi du Nom de Jésus de saint Bernardin. La prière du Nom de Jésus est un navire pour traverser l’Adès d’ici-bas. Le regard fixe sur la croix alors qu’elle est dans les flammes, elle répète encore le nom qui sauve: «Jésus, Jésus...». Dans cette demeure du Nom de Jésus, on peut lui répondre avec ses voix: «Ne te chaille pas de ton martyre, tu t’en viendras enfin en paradis.»
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