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Dans la persécution: «Prier, Aimer, Offrir, Souffrir, se Taire»

La spiritualité de San Damiano (3)
 

Suite du dialogue de Piero Mantero, directeur de la revue italienne Segno avec le Père Marc Flichy à propos de la Publication de son livre L’Eglise et ses prophètes.

Vous avez fait un véritable traité, quasi scholastique, sur les manifestations extraordinaires en général. Il me semble cependant que vous insistez beaucoup sur les apparitions de San Damiano qui ont eu lieu au sud de Plaisance à partir de 1964. Le livre montre que vous avez pris très à cœur ces événements. Pourrais-je connaître la raison de cet attachement?
J’étais moine quand on a commencé à parler des grandioses visites de Marie à la terre d’Italie. Mon Père Abbé était très sensible à ces signes concrets du monde céleste. Mais, de façon générale, les moines ne prêtent pas trop attention à ces phénomènes, parce qu’ils sont plutôt appelés à progresser dans l’aridité, dans la monotonie de la foi pure. Cependant, après avoir quitté le monastère en 1965, j’ai retrouvé Versailles et la région parisienne. C’est alors que j’ai entendu la voix de Rosa en train de dicter un message grâce aux premiers modèles de magnétophones. Ma sœur m’a ammené dans un salon chic du XVIe arrondissement de Paris et j’ai ainsi entendu le témoignage du Père Gabriel. Ces manifestations ont alors soulevé une immense émotion, une très grande joie, une merveilleuse espérance. Beaucoup pensaient que de pareils faits ne pouvaient plus avoir lieu au XXe siècle.
Pourtant votre livre n’évoque pas un climat toujours idéal…
Il faut avouer que les milieux traditionnels, sensibles aux valeurs éternelles, au réalisme surnaturel, se sont rendus plus nombreux sur place. Les laïcs d’alors n’étaient pas encore habitués à prendre pacifiquement leurs responsabilités dans la vie pastorale. Et puis, les chrétiens de la France de 1968 étaient très troublés au plan doctrinal. C’est pourquoi, certains prêtres du diocèse de Plaisance ont vu dans l’enthousiasme pour San Damiano un phénomène de fanatisme sentimental et traditionaliste. Ce n’était pas complètement faux. Il y a eu des torts des deux côtés. Selon moi, le diable s’est servi d’analyses purement sociologiques, psychologiques et politiques pour couler San Damiano. Les choses spirituelles doivent être jugées au niveau spirituel. C’est vrai à San Damiano, à Medjugorje ou ailleurs: «L’homme spirituel juge de tout et n’est jugé par personne» (1 Co 2,15).
Hélas! Nous avons tant de mal à être des hommes spirituels!
Dans ce livre, j’ai cherché à réfléchir sur les vraies lois du discernement. Tous, du Pape au dernier fidèle, nous sommes soumis, par volonté divine, aux grandes lois de la nature et de la grâce. Par exemple, pour être dans la vérité, il est nécessaire d’établir la réalité des faits, de faire taire les passions et les préjugés, d’avoir un cœur ouvert et humble. Quand ces conditions ne sont pas réalisées, toutes les erreurs sont possibles à tous les niveaux de l’échelle.
Aujourd’hui, après un demi-siècle d’analyses, de prière, de consultation de la «melior pars», nous pouvons dire – avec d’infinies précautions – que l’autorité n’a pas compris la grâce de Rosa et, osons le dire avec humilité, s’est trompée sur sa personne.
Et que faites-vous de la vertu d’obéissance?
Il est nécessaire de toujours obéir mais l’obéissance ne signifie pas la tyrannie des consciences. Il faut faire la différence entre l’obéissance de comportement et l’obéissance d’assentiment (§ 102). Rosa a vécu dans la soumission; la «melior pars» des dévots de la Madone des Roses s’est conformée aux directives du diocèse pendant un demi-siècle. Après un pareil délai, il est légitime de dire: «Nous sommes tous des pécheurs. Reprenons le dossier pacifiquement, scientifiquement, évangéliquement».
Selon vous, San Damiano a été ainsi victime de malentendus?

Je le crois. Je m’aperçois que dans l’Italie occidentale la Madone des Roses est inconnue de tous. On confond San Damiano d’Assise et le San Damiano de la région de Plaisance. Tant de signes, tant de preuves ont été données. On ne peut douter que les pieds de Marie ont touché la terre bénie de l’Italie en cette contrée. Deux signes devraient particulièrement toucher le cœur des italiens: le fleurissement du poirier hors saison, chose constatée par des milliers de visiteurs et l’implication concrète de Padre Pio…
Grosso modo, les apparitions de San Damiano sont vraies pour l’essentiel. La grâce a été perdue par la faute des hommes. Aujourd’hui, il est nécessaire de retrouver le «manque à gagner». Selon moi, le développement de San Damiano est une question de justice sociale. Pour parler comme les marxistes, je dirais: «Recevoir les cadeaux de Dieu fait partie des droits des travailleurs.» Et nous, les clercs, nous devons être attentifs à ne pas mériter les blâmes de Jésus: «Malheur à vous, légistes, parce que vous avez enlevé la clef de la science! Vous-mêmes n’êtes pas entrés, et ceux qui voulaient entrer, vous les en avez empêchés.» (Lc 11,52) Nous ne pouvons priver de son bien le peuple pauvre, humble, qui n’a pas les moyens d’aller à Lourdes, Fatima, Medjugorje [ceci est écrit pour les Italiens du Nord].
Vous auriez tendance à penser que les apparitions de San Damiano ont été les plus persécutées de l’histoire?
Oui! Je ne connais pas tout, mais selon mes connaissances – elles sont devenues plus amples à mesure que passait le temps – je ne vois pas un lieu d’affrontement aussi sérieux que celui-ci.
Le 29 décembre 1968, à trois heures du matin, on jette un engin explosif dans le petit jardin. La déflagration creuse un cratère profond sur le terrain. Dans la nuit du 13 au 14 mai 1969, le prunier est coupé à hauteur d’homme. Pendant trente ans les fidèles de San Damiano ont été traités comme des mineurs, comme des chrétiens de seconde zone, comme des fidèles un peu «retardés mentaux». Ils ont fait l’objet d’interdits à la limite de ce que peut consentir le droit canon et le simple droit de la personne. Rosa et son entourage ont été malmenés, opprimés de manière chronique.
Le 13 décembre 1978, suite à un rapport de police, vraisemblablement requis à la demande des ennemis de la messagère, le Procureur substitut de la République italienne, a mis sous séquestre les biens de Rosa et des ses trois fils (§ 37, § 48). La famille a été totalement innocentée en 1982, quelques mois après la mort de Rose Buzzini, mais le préjudice causé à l’image de marque de la famille Quattrini reste considérable, sinon définitif. On en gardera mémoire pendant plusieurs générations. La messagère a renoncé à ses droits civils en une circonstance difficile. Elle n’a pas même voulu se défendre quand on a répandu dans le grand public la légende qu’elle était une psychopathe depuis son enfance. Dans «les milieux bien informés» se répandait cette calomnie à partir d’un document soit-disant rédigé par un psychiatre qui a péremptoirement nié avoir reçu la messagère en consultation. Roland Maisonneuve et le docteur Michel Belsunce ont tiré définitivement au clair cette histoire (1 Mais, p. 55-60).
La main experte d’une personne consacrée a composé, non sans talent, une «chanson à boire» qui tournait en ridicule la «voyante». Cette hymne de taverne a été chantée durant plusieurs années dans les fêtes profanes de la zone de Plaisance.
Le combat angélique et le péché qui a suivi dans le jardin de l’Eden sont des thèmes inhérents à San Damiano.
Cette haine de Satan, on la touche du doigt quand on compulse l’histoire du doigt. Jésus a dit: «Si le monde vous hait, sachez qu’il m’a haï avant vous.» (Jn 15,18)
Alors, comme pour Jeanne d’Arc, un procès de réhabilitation serait normal?
Les hommes d’Eglise ne sont jamais aussi grands que quand ils reconnaissent humblement qu’ils se sont trompés. Nous devons préférer une Eglise pénitente à une Eglise honorable, triomphante (§ 199). La réhabilitation publique de San Damiano serait une œuvre de justice mais cette solution n’est pas réaliste. L’humilité est une denrée rare. Nous ne devons pas déterrer la hache de guerre. Le destin de beaucoup d’animateurs locaux a été de travailler sur place pendant cinquante ans, dans un climat de semi-persécution. Rosa résumait en sa personne la spiritualité de San Damiano: «Prier, Aimer, Offrir, Souffrir, se Taire.»
Avant tout, nous pensons que la voie de la Croix est féconde. Les opérateurs de l’œuvre à temps plein ont tant souffert! Il m’arrive d’imaginer qu’à travers leurs souffrances cachées, ils ont mérité l’avènement d’une nouvelle praxis de l’Eglise en matière de merveilleux.
Donc vous conseillez en attendant la passivité douloureuse et le «farniente»?
Non! Il reste tant de possibilités d’action.
Au niveau de l’autorité?
Oui! L’actuel évêque en fonction a le cœur ouvert, mais ne désire pas désavouer ses prédécesseurs. Toutefois, il pourrait multiplier les signes de bienveillance comme il l’a déjà fait, en continuité avec ses derniers prédécesseurs.
Pour ce qui est de l’avenir, après tant de prières, tant de recherches douloureuses, j’ai surmonté mes préjugés d’autrefois. En suivant la ligne de recherche de Mgr Laurentin, j’ai proposé, dans cet essai, une série de pratiques révolutionnaires, adaptées à la conjoncture d’aujourd’hui. Je n’affirme pas que ces suggestions soient bonnes. Je dis seulement que, sous la motion de l’Esprit, les hommes peuvent trouver des solutions nouvelles.
En ce qui concerne les laïcs responsables et les pèlerins vous préconisez aussi certaines initiatives?
Oui, il reste tant et tant d’actions possibles! Tout ce qui rend ce pèlerinage plus conforme à la pensée comme à la pastorale d’aujourd’hui, est souhaitable, à condition de respecter l’essentiel du message hautement original transmis par Rosa Quattrini.
Pour finir, quel argument proposer aux Italiens pour qu’ils retrouvent leur héritage?
Il y a peu de temps, un théologien et son épouse, venus de la Marche d’Ancône, ont parcouru de nombreux kilomètres pour découvrir ce lieu de grâce. Ils en sont revenus enthousiastes et, peu de temps après, ce couple est revenu une deuxième fois sur les lieux.
Nous ne devons pas oublier une donnée de grande importance. A diverses reprises Marie a fait la promesse d’être présente au Jardin de Paradis, spécialement à certaines heures. Qui va à San Damiano est sûr de rencontrer concrètement Marie et nombreux sont ceux qui l’expérimentent sensiblement.
On vient ici de diverses parties du monde. Par ailleurs, San Damiano est devenue une terre francophone. Les Italiens, mal informés, sont en retard; ils préfèrent envahir Lourdes et Medjugorje. Cependant, j’ai montré que San Damiano plonge ses racines dans un monde religieux typiquement franciscain et italien.
Pour qui en a le charisme, il est temps d’organiser des cars!

A suivre.
Marc Flichy

 

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