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Entrer dans le mystère de la souffrance avec Kibeho

Dans la montée vers la semaine Sainte, voici quelques extraits du récent livre du Père Edouard Sinayobye, dans Les apparitions de la Mère du Verbe à Kibeho, qui aideront à participer davantage au Mystère de la Croix.

 

Comme Jésus, vivre la souffrance avec la force de l’amour
Comment concilier, sur le plan du vécu, l’amour infini de Dieu et la réalité de la souffrance. Il y a toujours le danger de tomber dans un des deux extrêmes possibles: refuser la souffrance ou alors la chercher de façon morbide jusqu’à en faire une sorte d’idole. Kibeho nous apprend que pour vivre le mystère de la souffrance, il faut d’abord la démystifier. La souffrance est une réalité inhérente à toute existence humaine et fait partie du mystère chrétien. La sagesse chrétienne, que la Mère du Verbe a rappelée à Kibeho face à ce mystère, est de ne pas la nier en la fuyant, ni de la chercher comme si elle était un bien en soi et moins encore de s’y résigner. Sur le plan du vécu, cela signifie non pas se faire des illusions et donc ne pas attendre, par exemple, qu’une certaine révolution politique et sociale future, comme le progrès technique et scientifique réussissent un jour à l’éliminer complètement. Souvent l’histoire, même récente, a démontré en revanche, que la recherche du «paradis terrestre» a conduit à des régimes politiques désastreux sinon aberrants, qui ont produit des résultats désastreux; il suffit de penser aux régimes nazi et communiste. Donc, ce n’est pas en la niant ou en la refusant mais en l’affrontant, de manière sincère et directe, à la lumière de la foi, que nous réussirons à dompter la souffrance comme Jésus lui-même a fait et comme nous enseigne la Mère du Verbe. Cela signifie, non seulement apprendre avec l’expérience, à la subir comme inévitable, mais réussir à l’accueillir, quand elle se présente dans une attitude de liberté soutenue par la foi.
Saint Jean Paul II qui, comme nous le savons bien, a souffert beaucoup depuis son enfance, nous a laissé des paroles éclairantes à ce propos. Il ne cache pas l’ambivalence que la souffrance présente en elle-même mais aussi montre comment, à la lumière de la foi, il est possible d’en sortir: La souffrance a deux visages: passer de l’un à l’autre demande une conversion. L’attitude chrétienne à son égard est paradoxale: elle ne la nie pas comme le stoïcisme païen, elle ne s’y résigne pas, elle ne la désire pas non plus dans un masochisme morbide; mais elle l’accueille en ce qu’elle a d’inéluctable, tout en la combattant, et cherche à lui donner un sens positif à la lumière de la Croix du Christ. Elle l’investit de la force de l’amour et la convertit en «combustible» de la charité, afin de lui donner valeur salvifique.
En une autre occasion, il ajoutera encore qu’«il dépend de nous de changer le scandale de la souffrance en mystère, de lui donner une valeur éducative et même salvifique». Cela n’est possible que si nous faisons du Christ souffrant, notre modèle. La Croix du Christ est, en effet, la seule réponse définitive à la souffrance. La Croix sur laquelle le Christ est mort, n’est pas un discours, ni une théorie ou une philosophie, elle est au contraire, un événement concret, suivi d’un autre événement également concret, la résurrection.

Mais le Christ devait-il vraiment souffrir?
Si dans ce message à Kibeho, la Mère du Verbe exhorte à contempler la Passion du Christ, il nous faut comprendre, du côté de Dieu, ce qui a déterminé l’Incarnation et par conséquent la Passion et la mort du Christ. Il est clair que l’homme n’aurait pas de lui seul, offert à Dieu la satisfaction pour ses propres péchés. L’abîme ontologique qui existe entre le Créateur et la créature l’en empêchait à la racine. Ainsi, seul l’Homme-Dieu, Jésus-Christ, pouvait offrir une expiation adéquate pour tous les hommes. C’est lui qui, pour nos péchés, est propitiation, rédemption et supplication à l’égard de nos iniquités (Rm 3,25). La valeur expiatoire de ce sacrifice est liée à la surabondance de sa charité. Saint Thomas d’Aquin mettait en relief la charité dans l’acte expiatoire du Christ: «Le Christ, en souffrant par charité et par obéissance, a offert à Dieu quelque chose de plus grand que ne l’exigeait la compensation de toutes les offenses du genre humain.» C’est l’amour du Christ qui donne sens à son sacrifice. Lui-même le dit: «Nul ne peut avoir de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’il aime.» (Jn 15,13)  
Mais, le Christ ne pouvait pas nous aimer et nous sauver sans passer par la souffrance? En d’autres termes, son sacrifice jusqu’à la mort, était-il indispensable? Dans un certain sens, oui, mais non dans l’ordre de la justice, mais dans l’ordre de l’amour. Essayons de comprendre. Tandis que pour nous amour et souffrance semblent incompatibles, pour Dieu amour et souffrance ont une même portée théologique; créant l’homme par amour en lui donnant la liberté, Dieu se dispose à la «souffrance» du refus d’amour du côté de l’homme. Pour Dieu, l’amour signifie ainsi la kenose, s’abaisser jusqu’au sacrifice de la Croix: (Ph 2,1-11). L’on comprend que la souffrance et l’amour en Dieu ne sont pas en contradiction.
Saint Augustin ajoute un autre élément à ce que nous venons de voir et qui nous permet de répondre à la question de la «nécessité» de la souffrance du Christ. Il estime que le moyen de la souffrance a été choisi par Dieu pour nous libérer. Mais la souffrance du Christ n’a pas été nécessaire d’une nécessité de contrainte, ni de la part de Dieu qui a décidé cette souffrance, ni de la part du Christ qui a souffert volontairement. Mais elle a été nécessaire en raison de la finalité. On comprend alors, du point de vue de la spiritualité, pourquoi la Mère du Verbe montrait aux voyantes les scènes de la Passion du Christ. Elle voulait rappeler l’amour infini du Christ par lequel il a embrassé la souffrance expiatoire.

Pourquoi la Mère du Verbe a demandé les sacrifices d’expiation?
Nous venons de voir que le sacrifice de Jésus n’est pas lié à une nécessité de justice mais d’amour. Et nous aussi, nous sommes appelés à participer à tel sacrifice en unissant nos souffrances à celles du Sauveur. Mais comment comprendre cette expiation participée des hommes que la Mère du Verbe a rappelée dans son message à Kibeho?
Le sacrifice de Jésus a été total et définitif, mais reste ouvert à la participation de tous les fidèles. C’est cette participation par laquelle le chrétien «complète la Passion du Christ pour son corps qu’est l’Eglise» selon les paroles de l’apôtre Paul (Col 1,24) que la Mère du Verbe veut nous enseigner. Pour éclairer le sens théologique de l’expiation chrétienne, il ne faut donc pas perdre de vue l’expiation complète, totale et définitive du Christ. Cependant, Dieu a disposé que les hommes, membres du Corps mystique, participent, par pure grâce de sa part, à l’expiation du Rédempteur. Cette participation au sacrifice du Christ ne dépend nullement, comme on pourrait peut être le penser, du fait que le Dieu chrétien est un Dieu vengeur et coléreux exigeant une souffrance expiatoire de la part de l’homme pécheur, et qui entretient chez ce dernier une attitude magique, le poussant à chercher dans un châtiment onéreux une compensation objective au péché commis. Dieu n’a pas besoin de l’expiation des hommes, mais ce sont ces derniers qui ont besoin de réparer, s’ils ont pour lui un amour authentique. Dieu n’exige aucune compensation du poids du péché en poids de souffrance. Bernard Sesboüé nous aide à comprendre où se situe l’expiation participée des hommes:
L’expiation n’est pas à entendre dans le sens d’une justice commutative ou vindicative. Elle n’est nullement un préalable au pardon de Dieu; elle est au contraire fondée sur sa volonté de pardon. Elle n’est pas un châtiment arbitrairement voulu par Dieu; elle est la conséquence du mal que les péchés m’ont fait. Elle est volonté de réparation. Elle peut enfin et surtout devenir participation à l’expiation aimante du Christ pour le salut du monde.
Tout en affirmant le caractère définitif de l’expiation du Christ, Sesboüé la place dans le processus de purification de l’homme et souligne que l’expiation des hommes est une «participation» à l’expiation du Christ. En associant son humanité à son sacrifice expiatoire, c’est l’humanité (les hommes) tout entière qui voit s’ouvrir l’accès potentiel à une véritable «expiation participée» en Jésus-Christ. C’est le Christ Lui-même, Tête de l’Eglise, qui accomplit dans les membres de son corps, l’œuvre d’expiation. L’expiation nécessaire du Christ, Tête de l’Eglise et l’expiation participée des fidèles, ne font qu’un seul et unique acte expiatoire.
L’expiation permet de concilier la miséricorde de Dieu, qui veut le salut de tous les hommes, avec sa justice qui ne peut rien laisser impuni. L’expiation des membres du Christ ne complète en rien l’expiation absolue du Christ. L’expiation humaine ne doit nullement se concevoir comme venant parfaire ou se surajouter à une grâce divine du rachat qui serait déficiente. Même s’il complète dans sa chair ce qui manque aux épreuves du Christ pour son corps qui est l’Eglise (Col 1,24), le disciple n’ajoute rien à la valeur en soi surabondante des souffrances proprement expiatrices de Jésus, «celle-ci est l’affaire du “Christ total”, Tête et membres: celui qui appartient au Christ est par conséquent appelé à apporter une contribution réelle à l’expiation opérée par son chef dans sa “passion totale”».
A cela il faut ajouter que la souffrance de l’homme n’est pas intrinsèquement expiatoire. Dieu a librement disposé d’associer l’homme à l’œuvre de sa grâce. Ainsi en expiant dans le Christ, le chrétien collabore ainsi activement, par pure volonté de Dieu, à l’œuvre de Rédemption. La mortification expiatoire que demandait la Mère du Verbe n’a de sens que si elle est orientée à cette finalité d’expier pour les péchés en étroite union à l’acte expiatoire du Christ. Le chrétien réalise dans sa vie cette expiation participée par la charité, la prière et la souffrance unie à celle du Christ. L’amour vrai se manifeste en effet dans le don de soi qui implique la souffrance: nul ne peut avoir d’amour plus grand que de donner sa vie pour ceux qu’il aime (Jn 15,13). En d’autres termes, la foi exige que tout chrétien assume dans sa vie une adhésion amoureuse au Christ qui se traduit surtout dans l’offrande de lui-même comme réponse à l’amour du Christ. C’est cet amour qui s’offre en un culte spirituel qui le transforme et le rend semblable, petit à petit, au Fils premier-né.
La Mère du Verbe, membre excellent du Corps mystique a su aimer parfaitement comme le commande le Christ (Jn 15,12-14) et s’unit ainsi au don expiatoire de son Fils (Jn 19, 25-26). C’est en vertu de cette union au Christ qu’elle a ainsi participé, au titre de Mère coredemptrice, au sacrifice expiatoire de son Fils. Elle, icône et modèle de l’Eglise, nous éduque et nous entraîne à nous unir par amour au Rédempteur et ainsi participer au rachat des autres membres du Corps mystique.
Nous aurons remarqué que, dans le contexte des apparitions de Kibeho, le mystère de la souffrance est présenté dans sa dimension positive et salvifique. C’est sous cet angle que la Mère du Verbe a parlé des bienfaits de la souffrance. Nous savons que la mentalité actuelle qui tente vainement de bannir la souffrance de la vie humaine, semble ne pas reconnaître l’importance spirituelle de la mortification expiatoire. La valeur spirituelle de la mortification est d’actualité. Celle-ci fait partie de l’enseignement du Christ. Lui-même s’est soumis à des mortifications du corps (Mt 4,1-11). Dans l’enseignement du Nouveau Testament, le jeûne accompagne une prière authentique (Mt 17,21). Il faut porter la croix tous les jours et aller à la suite du Christ (Mt 16,24). La chair qui est faible et portée aux désirs contraires à l’esprit (Mc 14,38; Ga 5,17) doit être offerte en sacrifice (Rm 12,1). La souffrance engendre des vertus humaines et chrétiennes (Rm 5,4) et la mortification est profitable à l’âme et orientée au salut des autres, car l’homme est à la fois responsable de son propre salut et de celui de tous les autres. Cet enseignement est d’une grande portée spirituelle pour tout chrétien, situé dans les conditions de finitude.
Cette «théologie de la souffrance» développée à Kibeho n’est point du dolorisme comme certains l’ont parfois pensé. Le message de Kibeho nous introduit dans cette «memoria passionis» que le monde ne peut comprendre. Le témoignage de Mgr Misago à ce propos est éclairant:
J’ose affirmer, néanmoins, que l’accusation d’aberration portée contre le message de la souffrance est un peu trop exagérée, voire injuste; car le christianisme bien compris ne saurait évacuer le mystère de la Croix que Jésus en personne a voulu placer au centre de sa propre vie et de la vie même de ses vrais disciples. (Voir Mt 10,37-39; Mc 8,34-38; Lc 9,23-26). Malgré certaines maladresses de langage quasi inévitables chez des enfants qui ne sont pas des théologiens de profession, les messages en question paraissent rester en harmonie avec la tradition ascétique et mystique de l’Eglise.
La souffrance fait partie de la vie de l’homme et du mystère chrétien. L’apôtre Paul rappelle que le langage de la Croix est scandale pour les Juifs et folie pour les païens, mais pour ceux qui sont appelés, Juifs et Grecs, il est puissance et sagesse de Dieu (1 Co 1,18.23.24).

«Les apparitions de la Mère du Verbe à Kibeho» p. 145-152

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