La Foi
Pour introduire l’année de la foi, nous présentons la lettre pastorale de Mgr Charles Morerod, évêque de Lausanne, Genève et Fribourg, donnée en mars 2012 sur... la foi! L’Eglise va célébrer dans le monde entier une année de la foi. C’est une manière de mettre en œuvre ce que l’on appelle actuellement la «nouvelle évangélisation». A cette occasion, nous pouvons prendre conscience du don de la foi et nous interroger sur les raisons de la foi: pourquoi est-ce que je crois? Nous pouvons aussi nous demander pourquoi et comment proposer notre foi à d’autres.
Le cheminement en réponse aux promesses de Dieu
«Par la foi, Abraham obéit à l’appel de partir vers un pays qu’il devait recevoir en héritage, et il partit ne sachant où il allait. Par la foi, il vint séjourner dans la Terre promise comme en un pays étranger, y vivant sous des tentes, ainsi qu’Isaac et Jacob, héritiers avec lui de la même promesse (1).» Abraham est le père des croyants. Comme nous le dit la Lettre aux Hébreux, il quitte son pays – qu’il connaît et où il est bien – sans savoir où il va. Pourquoi? Parce qu’il fait confiance à Dieu. C’est d’abord ça la foi: faire confiance à Dieu. Et la foi c’est aussi, justement à cause de cette confiance, partir vers une région encore inconnue mais que l’on croit meilleure. Nous sommes invités à imiter Abraham, mais nous ne sommes pas tout à fait dans la même situation, parce que nous avons bien davantage que des promesses: «Après avoir, à maintes reprises et sous maintes formes, parlé jadis aux Pères par les prophètes, Dieu, en ces jours qui sont les derniers, nous a parlé par le Fils, qu’il a établi héritier de toutes choses, par qui aussi il a fait les siècles (2)». Les promesses faites à Abraham ne sont plus seulement des promesses. Elles se sont en partie réalisées, et bien au-delà de ce que le cœur humain aurait pu espérer de mieux. Dieu nous a envoyé son Fils. Nous ne croyons plus seulement sur la base de la parole de prophètes humains, mais d’abord sur la base d’un fait inouï: Dieu est venu lui-même à nous. Voilà sur quoi s’appuie notre foi: non pas sur nos idées, même sur nos idées en matière de religion, mais sur le fait que Dieu s’est manifesté.
La foi libre en Jésus-Christ
Pour ceux qui l’ont rencontré lors de son ministère, il y a près de 2000 ans, reconnaître le Christ n’était pas évident. Certes ils ont vu en Jésus un personnage religieux particulièrement intéressant, qui enseignait avec autorité et pas comme les scribes (3). Les opinions variaient: «Pour les uns, Jean le Baptiste; pour d’autres, Elie; pour d’autres encore, Jérémie ou quelqu’un des prophètes...(4)» Lorsque Pierre confesse que Jésus est «le Christ, le Fils du Dieu vivant (5)», Jésus lui répond: «Tu es heureux, Simon fils de Jonas, car cette révélation t’est venue, non de la chair et du sang, mais de mon Père qui est dans les cieux (6)». En d’autres termes, voir Jésus ne suffit pas pour reconnaître pleinement qui il est. Même lorsque Thomas, après avoir demandé à toucher les plaies du ressuscité, s’exclamera «Mon Seigneur et mon Dieu (7)», il va au-delà de ce qu’il peut vérifier: «Il vit une chose et en crut une autre (8)». Ceux qui voyaient Jésus voyaient un homme, et ils avaient raison, car c’était bien un homme. Mais c’est un homme qui est Dieu fait homme, et c’est en cela qu’il est unique. Il peut nous donner bien plus qu’un enseignement humain même admirable. Mais si ceux qui ont rencontré Jésus durant sa vie terrestre ont mis du temps à croire, et ont parfois trahi, comment ferons-nous pour croire, si longtemps après? L’expérience des premiers siècles de l’Eglise montre la difficulté: l’Eglise a rejeté les théories qui voyaient Jésus comme homme mais pas Dieu, ou comme Dieu mais pas homme, ou pas tout à fait homme, etc. Comment donc pouvons-nous croire? Tout d’abord la foi doit nous être proposée. Personne ne peut croire que Jésus-Christ est le Fils de Dieu, s’il n’en a jamais entendu parler. Nous pouvons être reconnaissants aux personnes qui nous ont transmis la foi: notre famille, nos curés, nos catéchistes, tellement de témoins variés. Au long des siècles beaucoup ont même donné leur vie à la suite du Christ pour que nous puissions recevoir la foi. A nous de transmettre ce que nous avons reçu, par notre annonce de la foi et notre témoignage – parfois silencieux – de la vie chrétienne. Pour croire, il ne suffit pas d’avoir entendu annoncer la foi. On peut entendre que Jésus-Christ est Seigneur et ne pas le croire: cela peut dépendre d’une mauvaise explication, mais au bout du compte chacun est libre d’accepter ou non la proposition de la foi. C’est Dieu qui nous laisse libres de répondre par oui ou non à l’offre de son amour. Rien n’est plus profond et fondamental dans une vie humaine. Une certaine vision de la personne humaine s’en dégage. Le résistant allemand Dietrich von Hildebrand y voyait le principal argument contre le totalitarisme nazi: on ne peut réduire à la biologie (à la race) un être créé avec la capacité de dire oui ou non à Dieu. On mesure mal l’impact sur la société de cette vision d’un homme libre face à son Créateur, et c’est un point dont les chrétiens eux-mêmes ont mis du temps à mesurer la portée.
L’horizon de la foi
En mettant un peu d’eau dans le vin au début de la liturgie eucharistique, le prêtre dit: «Comme cette eau se mêle au vin pour le sacrement de l’Alliance, puissions-nous être unis à la divinité de celui qui a pris notre humanité». Nous sommes appelés par Jésus à partager la vie même de Dieu, et ce n’est possible que parce que Jésus est Dieu (et nous envoie l’Esprit Saint qui est Dieu). Et nous participons à la vie de Dieu dès notre baptême; cette participation s’accroît dans l’Eucharistie. Pourtant nous ne sommes pas au bout du chemin, qui ne nous est promis qu’au-delà de notre mort. Nous sommes donc dans une étape belle, mais intermédiaire, qui est celle de la foi: «La foi est la garantie des biens que l’on espère, la preuve des réalités qu’on ne voit pas (9).» La foi est une aube: une vraie clarté, mais pas une pleine clarté. Dans la foi nous commençons à recevoir vraiment ce qui nous est promis (la vie éternelle), mais ne le voyons pas pleinement. Ce que la foi nous propose est bien au-delà de ce que nous pouvons connaître parfaitement, mais c’est justement ce qui rend la foi intéressante. On se demande parfois si la foi, parce que nous ne pouvons pas la saisir parfaitement, est contre la raison. En fait, la raison humaine découvre toujours davantage à quel point et avec quelle subtilité notre monde est organisé. Et ce fait même invite à chercher un organisateur intelligent. Ainsi le progrès de nos connaissances renforce la crédibilité de l’existence d’un Dieu. Mais la foi va bien au-delà de l’affirmation d’un organisateur de la Création. La foi nous fait connaître un Dieu qui nous révèle sa propre vie et nous la fait partager. La foi nous met en relation avec un Dieu unique qui est Père, Fils et Saint-Esprit. Là, plus on y réfléchit, plus on se rend compte qu’on croit infiniment davantage que ce que l’on comprend. En s’approchant de Dieu, on fait un peu l’expérience de s’approcher d’une montagne: plus on est près de la montagne, plus on remarque à quel point elle est plus grande que nous. Est-ce que l’on doit alors reconnaître que la foi est contre la raison? Ce que Dieu nous fait connaître n’est jamais contre la raison, car le Dieu qui nous sauve est l’auteur de notre raison et du monde que nous connaissons. Même si nous ne le comprenons pas tout à fait, nous pouvons voir qu’il n’y a pas de contradiction dans la foi, et qu’elle est même admirablement cohérente. En réalité, ce que la foi nous donne est au-dessus de la raison et non pas contre elle. Le Soleil serait-il trop peu lumineux parce que nous ne pouvons pas le regarder en face? C’est son excès de lumière qui nous empêche de bien le voir! Et c’est aussi la trop grande clarté de Dieu qui nous empêche de bien le comprendre. Mais aucune ténèbre ne résiste à cette lumière divine: elle nous éclaire non seulement sur Dieu mais aussi sur nous-mêmes. En acceptant humblement de recevoir Dieu qui vient à nous, nous découvrons toujours mieux ce que nous sommes, individuellement et collectivement. Dans le Christ, c’est donc aussi l’homme qui nous est dévoilé, ainsi que la communauté humaine. Il nous apprend à vivre ensemble.
Foi et morale
Faut-il être parfait pour être chrétien? En d’autres termes, la mauvaise conduite de nombreux croyants signifie-t-elle que le christianisme est faux? Certes la vie des saints est un argument en faveur de la foi, mais cela ne signifie surtout pas qu’il faut d’abord être saint pour venir à la foi: «Ce ne sont pas les gens bien portants qui ont besoin de médecin, mais les malades. Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs (10).» Jésus ne présuppose pas que nous sachions aimer, il nous apprend à aimer. Et il le fait d’abord en nous le montrant: «En ceci consiste l’amour: ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c’est lui qui nous a aimés et qui a envoyé son Fils en victime de propitiation pour nos péchés. Bien-aimés, si Dieu nous a ainsi aimés, nous devons, nous aussi, nous aimer les uns les autres (11).» Voilà le ressort de la moralité chrétienne: voir que Dieu s’est abaissé par amour jusqu’à mourir pour nous. Quand on s’en rend compte, comment ne pas être reconnaissant, en aimant en retour Dieu et ceux que Dieu aime, c’est-à-dire nos frères et sœurs? Voilà la racine sans laquelle le plus bel engagement pour les autres risques de se tarir, de se fatiguer, de laisser la place à la résignation. En revanche, si l’on continue à puiser à la source du Christ, l’espoir peut grandir tout au long du parcours, malgré les chutes et les refus.
L’année de la foi
En promulguant l’année de la foi, le pape Benoît résume les conditions de la foi, ou du franchissement de la porte de la foi: «Il est possible de franchir ce seuil quand la Parole de Dieu est annoncée et que le cœur se laisse modeler par la grâce qui transforme (12).» Pour que la foi puisse exister, il faut donc que l’Eglise – nous tous – l’annoncions sans cesse. Et nous devons aussi prier pour que ceux à qui elle est annoncée l’accueillent. Le pape indique aussi que la foi est une étape essentielle de «la joie et [de] l’enthousiasme renouvelé de la rencontre avec le Christ (13).» La vie chrétienne est d’abord une joie, celle qui provient de la rencontre avec le Christ. Cette rencontre est possible, deux mille ans après la vie terrestre de Jésus, parce que l’Eglise continue à nous l’annoncer. Dans notre diocèse, un aspect essentiel de cette annonce est l’invitation à lire l’Evangile à la maison. Ainsi nous nous aidons les uns les autres à connaître personnellement ce Christ sans lequel la vie de l’Eglise est incompréhensible. En nous imprégnant de l’Evangile, nous apprenons aussi à imiter le Christ dans toute notre vie; et ceux qui nous rencontrent devraient pouvoir percevoir que «L’Eglise, c’est l’Evangile qui continu (14).»
Votre évêque Mgr Charles Morerod
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Notes:
1. Hébreux 11,8-9.
2. Hébreux 1,1-2
3. Cf. Marc 1,22.
4. Matthieu 16,14
5. Matthieu 16,16
6. Matthieu 16,17
7. Jean 20,28.
8. S. Grégoire le Grand, Homélie 26 sur l’Evangile
9. Hébreux 11,1.
10. Marc 2,17
11. 1 Jean 4,10-11
12. Benoît XVI, Lettre Apostolique Porta Fidei (11 octobre 2011), § 1
13. Porta Fidei, § 2
14. Charles Journet, L’Eglise et la Bible, Editions Saint-Augustin, Saint-Maurice, 1960, p. 45.